Dans nos esprits, Pâques est étroitement associé à la vie, à la naissance, à la nouveauté, au printemps, à la nature qui refleurit. Pour les premiers chrétiens, Pâques, ce n’est pas seulement la vie, c’est aussi la mort, c’est toute la vie de Jésus qui trouve son accomplissement dans sa résurrection. Selon un sens très ancien, « Pâques » dériverait de « Passion » qui, en grec, veut dire « souffrir ». Contrairement à ces premiers chrétiens qui avaient saisi que, pour ressusciter et entrer dans la vie, il faut mourir, tout est fait aujourd’hui pour cacher la mort, pour nous en préserver, si bien que les morts eux-mêmes, grâce aux soins funéraires, ressemblent à des vivants, alors que, par ailleurs, la mort surgit journellement, là où on ne l’attendait pas, de façon souvent invraisemblable et dramatique.
De plus, l’étalement des offices de la Semaine sainte sur plusieurs jours, étranger aux premiers chrétiens, ne nous aide pas davantage à relier mort et résurrection, d’autant qu’on peut participer à tel office et pas à tel autre. Les célébrations du Jeudi saint, du Vendredi saint, de la Veillée pascale et du jour de Pâques paraissent ainsi sans lien entre elles. Or, il s’agit d’une même réalité que nous célébrons durant ces trois jours, dont les divers aspects sont indissociables. Chez les premiers chrétiens, ils étaient tous réunis en un seul moment : la fête de Pâques. Car sans mort, il n’y a pas de résurrection, et le véritable sens de la mort de Jésus – l’acte d’un amour qui se donne totalement, c’est son dernier repas avec ses Apôtres qui le révèle.
Dans sa récente exhortation sur l’appel à la sainteté, le pape François écrit que, « au fond, la sainteté, c’est vivre les mystères de la vie du Christ en union avec lui. Elle consiste à s’associer à la mort et à la résurrection du Seigneur d’une manière unique et personnelle, à mourir et à ressusciter constamment avec lui » (n° 20).
Par le baptême, nous avons été rendus participants de la mort et de la résurrection du Christ. Le baptême est, lui aussi, habituellement associé à la naissance, à la vie, à la fête, à la joie. Pourtant, comme Pâques, il comporte une dimension de mort. Le baptême, dit saint Paul dans la lecture que l’on fait au cours de la Veillée pascale, « nous unit à la mort du Christ pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui est ressuscité d’entre les morts. » Par le baptême, nous passons par la mort avec le Christ pour vivre aussi avec lui (cf. Rm 6, 3-11).
Nous avons beau cacher la mort, elle ne demeure pas moins l’horizon de notre existence. Plus encore, notre existence tout entière est touchée par la mort, dont la souffrance, la maladie, la douleur, la fragilité, les blessures morales, le péché en sont les expressions. Mourir pour entrer dans la vie, mourir pour ressusciter avec le Christ, c’est accepter la mort, comme lui, et que notre existence est fragile et limitée, dans l’assurance que la mort n’a pas le dernier mot. Le dernier mot est à la résurrection et à la vie ! Pâques ne nie pas la mort, ni les épreuves et les difficultés de la vie. Mais Pâques nous assure que, si nous vivons unis au Christ, toutes les expériences de mort, petites ou grandes, que nous faisons, aussi pénibles et douloureuses soient-elles, contiennent en elles une promesse de vie, tel le grain mis en terre qui finit par porter du fruit. N’est-ce pas après avoir fait l’expérience de la mort, quelle qu’elle soit, que l’on perçoit mieux quel est le prix de la vie ?
Le Christ, notre espérance, est ressuscité et, par le baptême, nous sommes ressuscités avec lui ! La Vie a définitivement détruit la mort ! Puisse le temps de Pâques fortifier notre désir de la sainteté par une vie plus unie au Christ pour mourir et ressusciter constamment avec lui !