Depuis le début de la crise sanitaire, le sens de certains mots a évolué, d’autres ont été créés, d’autres encore sont sortis de l’oubli. Selon la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie française, le nom confinement est tiré du verbe confiner qui est lui-même tiré du nom confins. Alors que confiner signifiait « reléguer dans un certain lieu, exiler », un lieu qui soit le plus éloigné possible, les confins désignant « les lieux les plus éloignés de celui où l’on se trouve », désormais, le confinement ne se fait plus aux extrémités de la terre, mais chez soi, à son domicile ! Quant à déconfiner, déconfinement et reconfiner, reconfinement, il s’agit de mots nouveaux, assez mal venus, selon l’Académie, et absents, pour le moment, de son dictionnaire !
Parmi les mots dont on avait quelque peu oublié le sens, il y a quarantaine. Non son sens premier « d’environ quarante », mais celui de « mise à l’écart temporaire d’une personne ou d’une marchandise présentant un danger d’ordre sanitaire ». On avait oublié ce second sens de quarantaine, qui désignait à l’origine « l’isolement imposé aux occupants et aux marchandises d’un navire arrivant d’une zone d’épidémie », pour la simple raison qu’on s’imaginait d’autant vivre dans une partie du monde sûre et aseptisée, et ne courir aucun risque, que les épidémies paraissaient définitivement appartenir au passé et ne plus concerner que les confins justement, les parties du monde les plus éloignées de nous.
Si l’on parle à nouveau de quarantaine, au sujet de ceux dont le test a été positif, qui rentrent dans un pays ou qui en sortent, on en parle moins au sujet du Carême qui est, lui aussi, selon une expression ancienne, une quarantaine, la sainte quarantaine, qui, elle, ne nous isole pas des autres. On associe souvent le Carême à une période triste et austère, durant laquelle on doit faire des sacrifices et se priver volontairement de ceci ou de cela. En réalité, le Carême n’est pas une quarantaine qui nous met à l’écart des autres et qui impose, à chacun, des efforts pénibles, de prendre un air abattu et une mine défaite (cf. Mt 6, 16). Le Carême, au contraire, nous rapproche à la fois de Dieu et des autres, et réclame une mine fraîche et joyeuse !
« Le Carême, dit, en effet, le pape François, nous invite à regarder vers le haut, avec la prière qui nous libère d’une vie plate où on trouve le temps pour soi, mais où l’on oublie Dieu. Et puis vers l’autre, avec la charité qui libère du fait de penser que les choses vont bien si elles me vont bien à moi. Enfin, il nous invite à regarder à l’intérieur, avec le jeûne, qui nous libère de l’attachement aux choses, de ce qui anesthésie le cœur. »
Le confinement et la quarantaine, exigés par la situation sanitaire actuelle, nous tiennent à distance des autres. La sainte quarantaine, elle, nous rappelle que nous dépendons de Dieu et des autres. Elle réveille la source de notre baptême qui nous a unis au Christ, en qui, tous, nous ne faisons plus qu’un (cf. Ga 3, 27-28). Quoi qu’il en soit des mesures de distanciation sociale, allons, durant ce Carême, vers le haut, vers Dieu, et vers les autres, et nous fêterons Pâques non avec un cœur fermé, replié sur lui-même, mais avec un cœur ouvert, qui aime davantage !